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19 avril, Chiang Mai

La journée d'aujourd'hui s'annonçait mémorable. C'était enfin à notre tour de vivre l'expérience d'une vie, l'activité classée numéro 1 ici à Chiang Mai, la visite du Tiger Kingdom. 

Quelques-uns de nos amis avaient visités par le passé ce «refuge» pour tigres où l'on peut interagir avec les bêtes, les cajoler, toucher leur doux poil et prendre une tonne de photos de cette expérience magique et pour le moins surprenante. Le rêve! Je me souviens d'avoir regardé toutes ces photos avec envie des dizaines de fois en pensant qu'un jour, j'aurais la chance de m'y rendre moi aussi. Cette journée était enfin arrivée.

Puis ce matin, nous nous sommes réveillés avec un peu moins d'entrain. Des doutes profonds se sont installés en nous. Dans notre enthousiasme à aller vivre une expérience hors de l'ordinaire avec des bêtes que l'on ne peut habituellement pas approcher, nous nous sommes emportés. Et si on faisait une petite recherche sur l'endroit avant de s'y rendre? Et si on s'assurait des conditions dans lesquelles ces animaux vivent ainsi que de la mission de l'entreprise? Et si ce n'était tout simplement pas normal de pouvoir cajoler un tigre?

Martin et moi sommes unis par une passion commune pour les animaux. Leur bien-être et leur protection nous tiennent évidemment à coeur. Martin va même jusqu'à refuser de manger quelqu'espèce que ce soit. Pour ma part, sans être aussi radicale en ce qui a trait à ce que je met dans mon assiette, je fais des choix qui vont dans le même sens. Chaque fois que nous avons eu la chance durant ce merveilleux voyage d'aller à la rencontre d'une espèce nouvelle pour nous, nous y avons accouru, mais toujours en faisant des choix qui nous ont semblé éthiques.

Par exemple, en Australie, nous avons visité un hôpital pour koalas qui recueille les charmantes boules de poil en difficulté, les renvoyant dans la nature une fois sur pattes ou en s'engageant à prendre soin d'eux indéfiniment, comme pour ce koala aveugle par exemple. On offre aux petits patients un environnement naturel et sécuritaire, propre et sans stress. On est à l'écoute de leurs besoins. L'équipe de bénévoles nous accueille pour une visite éducative gratuite et c'est en achetant du matériel promotionnel ou en choisissant de parrainer un koala qu'on peut contribuer au succès de l'hôpital.

Au début de notre séjour dans ce pays, lorsque nous avons voulu cajoler un koala, nous avons pris le temps de choisir un endroit (Kuranda Koala Gardens) où cela se fait dans le respect et où ces animaux passifs «travaillent» de très courts laps de temps dans une journée. On ne pouvait pas faire ce qu'on voulait avec le koala: une personne qualifiée et attentionnée plaçait soigneusement l'animal dans nos bras pour quelques secondes, le temps d'un émerveillement et d'un clic. Interdiction de bouger les bras ou de flatter autre chose que ses petites fesses. Nous avons tellement appris de choses sur le koala lors de nos différentes visites. Un excellent travail d'éducation est fait par ces organismes pour améliorer le sort de ces attachantes bêtes désormais en danger.

Il y a aussi cette fois aux Philippines où nous voulions aller à la rencontre d'un animal rare, le tarsier. Sans un peu de recherches, nous aurions suivi la route touristique menant à cet endroit (Loboc Tarsier Conservation Area) certes très agréable pour les touristes où l'on peut manipuler les petites bêtes à souhait, mais horrible pour les tarsiers qui sont tellement stressés que certains se suicident en se pendant avec leur propre queue. True story. N'est-ce pas scandaleux? Aucune recherche très exhaustive n'a été nécessaire pour trouver un autre endroit (Philippine Tarsier Foundation) absolument charmant où les tarsiers sont dans la nature, où l'on doit garder le silence et où il est interdit d'utiliser son flash de caméra ou de toucher les animaux. Est-ce que notre expérience a été moins agréable? Au contraire! C'est tellement plus gratifiant de respecter les espèces tout en donnant un petit coup de pouce aux organismes qui travaillent pour leur conservation et leur bien-être.

Alors pourquoi est-ce que ce serait différent aujourd'hui avec les tigres? On se demande d'abord comment il est possible de cajoler ce prédateur sans risque. Est-ce qu'on drogue l'animal pour le rendre passif? Même si les tigres en question ont passé toute leur vie en captivité à côtoyer l'Homme, comment est-ce possible qu'ils ne représentent aucune menace? Prenez seulement l'exemple d'un chat domestique qui peut mordre ou griffer lorsque dérangé, ou simplement même pour jouer. Sur le site du Tiger Kingdom, on explique ici que les tigres sont entraînés à coups de bâton sur le nez dès leur naissance pour leur faire comprendre que certaines actions sont interdites, comme justement de mordre, de griffer ou même de lécher, souvent la première étape avant une petite croque. Cette méthode serait bien connue et utilisée ailleurs pour dresser d'autres animaux comme des chiens. N'y a-t'il pas de meilleures méthodes de dressage que les coups? Nous ne sommes pas des experts, mais cette technique nous rebute. Et de toute façon, dresser un chien, ça va, mais dans quel but dresser un tigre pour qu'il puisse cohabiter avec l'Homme, en d'autres termes, le domestiquer? Est-ce vraiment nécessaire? Est-ce dans l'intérêt du tigre ou dans l'intérêt du public qui veut prendre de belles photos, et dans l'intérêt du centre qui se fait beaucoup, beaucoup d'argent avec ces visites? Il nous semble bien que les zoos et les centres de conservations qui se respectent travaillent à conserver l'instinct des animaux et les habitudes propres à leur espèce, pas le contraire.

Ensuite, le «royaume» est ouvert tous les jours de la semaine, avec des masses de visiteurs sans doute plus harassants les uns que les autres. Est-ce que ce sont toujours les mêmes tigres qui sont à la disposition de nos envies de toucher? Ont-ils des journées de congé avec la sainte paix? Aucune information à ce sujet, mais on espère sincèrement qu'on leur donne un break une fois de temps en temps. De plus à ce que l'on peut voir sur les photos, l'environnement dans lequel l'Homme et la Bête se rencontrent n'a rien de naturel: plancher de béton, tables et grillage. Se cache-t'il derrière tout cela un environnement de qualité? Nous aurions aimé pouvoir trouver des informations à ce sujet.

On lit également que les tigres dorment souvent durant la journée, que ce ne serait pas l'effet de sédatifs mais bien l'effet de la chaleur ou tout simplement du cycle naturel de repos des bêtes, qui sont plus actives la nuit. Jusque là, ça passe. Mais on apprend que le personnel réveille les tigres, entre autre par coups de bâton sur le nez pour qu'ils aient les yeux ouverts, et qu'on les place et déplace pour que ça fasse de meilleures photos. Après tout, les gens ont payé et ont droit d'avoir de beaux souvenirs sur papier glacé. Un petit sourire avec ça?

Extrait du site du Tiger Kingdom:
What the customer wants they usually get! Its the same story in every business in every country! If all the customers wanted to do was to stand/sit next to a tiger while it was sleeping peacefully then it would make for a less tired tiger and probably a happier keeper too, but for the most part customers will not settle for just a touch. Provided it is safe to do so the trainers will try and position the tiger so that the face can be seen and the customer can sit comfortably in shot.

Si c'est leur cycle de repos, pourquoi on ne les laisserait pas tranquilles? À part dans un party trop arrosé durant lequel vous finissez à moitié mort sur le divan pendant que vos amis vous dessinent dans le visage, ouvrent vos yeux, vous placent dans d'étonnantes positions et prennent d'amusantes photos, je ne crois pas que vous trouveriez ça drôle et que vous vous laisseriez faire bien longtemps.

Finalement, la mission de l'entreprise ne semble pas très claire non plus. Bien avant la conservation ou l'éducation, nos lectures et la visite de leur site web nous mènent à parier que l'aspect lucratif de l'affaire est un intérêt principal. Nos recherches ne nous ont pas mené à une conclusion claire et définitive. Est-ce que cet endroit est mal, est-ce que cet endroit est bien? Plusieurs se sont posés la question avant nous à ce que nous avons pu constater sur les Internets, la majorité ayant choisi d'aller voir de ses propres yeux. L'expérience semble avoir été formidable pour chacun d'entre eux, qui avouent même avoir oublié l'aspect éthique durant leur visite par trop d'excitation. On rapporte que les tigres ne semblent pas être sous sédatif et semblent être bien traités, mais personne n'est un expert et personne ne voit non plus l'envers du décor. Pour notre part, les doutes sont trop grands. On ne peut affirmer que cet endroit est foncièrement mal. Mais aucune lecture ne nous a prouvé que c'était bien. Y aller par curiosité ou sous prétexte qu'on veut se faire une idée rendu là-bas contribuerait à encourager une industrie qui selon nous exploite carrément les animaux dans le but de faire des profits.

Ceci dit, nous ne possédons pas la vérité. Nos choix sont sans doute très souvent discutables, mais au moins on a le mérite de réfléchir et d'essayer d'y voir plus clair. Le statut de voyageur vient avec une grande responsabilité. Nos choix ne sont ni plus ni moins qu'un signe d'accord ou de désaccord clair envers les pratiques locales. Payer pour aller visiter une attraction pour qui le bien-être des pensionnaires n'est pas au coeur des actions, c'est acheter un passeport pour un voyage en enfer aux animaux. Notre humble conseil aux voyageurs qui lirons ce texte: rappelez-vous que ce n'est pas parce qu'une activité existe et qu'elle est populaire, qu'elle est nécessairement bonne. Grattez un peu plus loin que la surface et faites des choix qui correspondent à vos valeurs. En cas de doute, abstenez-vous. Un choix moral vaut beaucoup plus qu'une photo qui impressionnera vos amis.

Source de l'image: 4ever.eu